LIVRE DE BORD DE JULIAN BELLINI
Mardi, 3. août, 2 du matin:
En fermant les yeux je peux le sentir maintenant. Des fois je dois chercher un peu, parfois c’est très évident. Le monde tangue autour de moi. Ou en moi. La différence n’est pas toujours très nette. Cela fait trois jours maintenant que nous sommes sur les bateaux. Enfin, il faut dire, après des mois de préparation, de chantiers interminables, d’un long trajet en voiture, enfin notre petit village de tentes rempli d’astuces et de solutions créatives, flotte dans le canal de Finow. Trois jours qui m’ont vu monter à bord d’un bateau plus souvent que pendant toute ma vie antérieure. J’ai dormi sous la tente flottante qui me berce, solidement amarrée à quai, à travers la nuit, j’ai sûrement rangé tout au moins trois fois dans différents coffres et caisses.
Quand je suis à bord le bateau bouge et mon corps égalise le mouvement. C’est aussi simple. Parfois ça peut paraître un peu gauche, surtout quand un pied est resté sur la berge, l’autre est déjà sur le bateau, dans le meilleur des cas aucune main est libre pour se tenir à quoi que ce soit. Parfois j’ai l’impression que mon sens de l’équilibre n’attendait que ce genre de situation, où plusieurs personnes bougent sur le bateau et qu’il pique un peu du nez, d’un côté ou de l’autre, pour se remettre droit aussitôt. C’est naturel que tout bouge dans ce cas, je le remarque à peine, un tourbillon très doux, mon oreille interne dans la baignoire.
Mais bien sûr, il y a des moment où je ne suis pas sur le bateau. Au lavabo je me baisse et mon cerveau cherche le mouvement que le sol sous mes pieds est censé faire dans ce cas. Aucun mouvement ne vient, même le sable sous l’herbe ne balance pas. J’attends à la caisse du supermarché et je me demande si un observateur attentif pourrait voir mon corps faire ses mouvements de récupération, même assis sur une chaise mes sens cherchent les informations qui indiqueraient le prochain mouvement à faire pour garder l’équilibre.

Le monde tangue. Et le monde est clément avec nous. Même quand nous nous surestimons, que nous nous chargeons trop en travail pour une seule journée, il n’émet qu’un petit avertissement. Bien sûr nous largons les amarres trop tard. Bien sûr nous avons mis trop de temps pour assembler les quatre bateaux. En une file indienne un peu effilochée nos çatamarans-pédalo-péniches glissent le long du canal. Petite sensation de jubilation interne. Trop d’impressions que j’aimerais pouvoir traiter un par un. Petits défis de ce véhicule, qui ne bouge pas sur une surface dure, et refait pas ce que tous mes véhicule routiers ont fait pour moi depuis les divers skateboards et tricycles jusqu’aux convois camion-remorque. Par exemple s’arrêter quand je les arrête. Ou alors bouges dans une direction à la fois. J’apprends à diriger mon bateau dans une direction approximative, j’apprends à négocier la vitesse, et entre « l’arrêt presque total » et « vitesse de marche rapide » il y a un catalogue de nuances… Entretemps la nuit tombe.

Et il commence à pleuvoir. Et là où on voulait aller l’eau n’est pas assez profonde. La nuit noir déploie ses ailes et la petite averse est déjà passée, les bateaux sont plus ou moins amarrés et il n’y a pas eu de casse, mais l’inspiration profonde a une qualité nouvelle. Notre petit village bouge dans les cordes qui le retiennent à quai, nous sommes assis avec les céramistes Andrea et Stefan qui habitent à côté du canal et la tombée de la nuit a récupéré son caractère paisible. Et de notre petite démarche chancelante et tanguante nous négocions avec notre Festival des Gestes Modestes, qui avance dans une direction floue et à une vitesse approximative…
Vendredi 6. août, 2 heures du matin …
Parfois on aurait envie de simplement profiter en prenant quelques inspirations profondes. Derrière nous des mois de préparation, du travail sans compter, encroe plus d’idées et de rêves. Devant nous certainement plus d’obstacles encore. Nous pouvons deviner certains, d’autres se présenteront exactement au moment où ils demanderont solution. Mais entre deux il y a des moments où on aimerait s’arrêter le temps d’un instant. Un instant qu’on aimerait mieux apercevoir. Un instant où ce qui était imagination devient réalité palpable.

Les bateaux fendent l’eau, rythmés par le bruit des pâles de propulsion. Une petite enfilade de pédalos colorés et loufoques qui poussent autour de nos corps comme des coquilles d’escargot marin. Je dois me rappeler que ça aussi représente du trafic et du transport, tellement c’est loin de tout ce que j’ai connu dans cette catégorie. Ou alors l’écluse, bouillonnante autour de nos bateaux, qu’elle lève sans effort en les poussant le long de ses murs vers le ciel. Murs noircis par la mousse, par les coquillages qui ne se distinguent pas parmi les briques auxquelles elles ont trouvé adhésion. La porte se ferme le temps que je trouve ma position dans le bassin. L’eau entre en faisant un vacarme assourdissant et mon petit bateau se fait sévèrement secouer en s’élevant. Et pendant que l’eau entrant se fait plus calme le ciel s’ouvre au dessus de moi et d’un coup ma tête dépasse du bord de la maçonnerie ancienne et je redécouvre une perspective sur l’herbe et les fleurs.
Bien sûr il n’est pas possible de s’arrêter cet instant tant souhaité. Trop qui reste à faire, à penser et à concevoir. Trois de nos quatre bateaux font leur premier voyage depuis que nous les avons transformés, un seul parmi nous a de l’expérience avec le matériel et sa manipulation. J’apprends chaque pas et chaque fonctionnement et j’essaie d’apprendre et d’enregistrer au même temps. Ne pas oublier les besoins des autres, ne pas oublier ce qui reste à faire, partager mon attention et en garder en réserve pour quand il y en aura besoin. Pas facile de respirer et de tenir compte du plus important. Nous sommes arrivés en voyage. Nous sommes à l’endroit où nous voulions être. A l’endroit où nous voulons être.

Et c’est un endroit excitant. La nature reconquiert parcelle par parcelle, racine par racine un domaine qui lui a été enlevé il n’y a pas si longtemps, scellé avec des bâtiments qui était conçus pour rester des siècles, construits en matériaux pour l’éternité. Briques et acier s’empilent pour former des tours têtues et par les fenêtre brisées on devine des intérieurs immenses. C’est un verso. Un de ces côtés cachés à l’arrière du monde. Je connais la façade, le côté rue, parfois tiré à quatre épingles, parfois moins, mais ici un rideau s’ouvre et je vois l’arrière d’un décor, j’aperçois un désordre intime de mondes entrelacés qui se tiennent d’habitude à l’écart.
…et midi du lendemain
Une discussion au sujet des moustiques. Nous sommes assis dans la cour de la Galerie Fenster et nous attendons l’ouverture de l’exposition photo, en train de discuter nos impressions du canal. Et ici aussi les mondes s’entrelacent, et d’une discussion au sujet des moustiques je glisse dans les spécificités de la région d’Eberswalde et de la biographie de mon interlocuteur, et comment les deux se sont influencés. Mes quelques observations de ces quelques jours se nouent avec ses récits, et les photos sur les tableaux d’information historiques que j’ai pu voir obtiennent leur histoire et leur vie de première main. Les ruines et les constructions industrielles que j’ai pu voir se réaniment un peu.

Et cette impression est largement plus dominant que celle des 3500 différentes sortes de moustique qui peuplent la vallée. L’impression que des ponts se construisent entre nous et les gens qu’on croise. L’impression que cette eau qui lie les villages et les villes le long de son cour, peut aussi nous lier avec ses riverains. Une expérience partagée. Une histoire commune qui nous permet d’aborder des discussions paisible comme le courant, et qui promet autant de surprises que cette rivière et les perspectives qu’elle offre.
Pendant que la nuit tombe la soirée commence et Georg et Béatrice commencent leur collaboration qui trouve dans les rythmes changeants et les mélodies capricieuses de Béatrice la tension nécessaire pour construire des sculptures à partir d’un fil de fer souple et fin, qui tiennent debout sur leurs jambes tremblantes, et qui continuent de se balancer même lorsque personne ne les touche plus. Les yeux rivés sur les mains de Georg, le cercle de public qui est venu visiter l’ouverture de l’exposition, frémit avec les constructions filigranes chaque fois qu’il cherche à tâtons l’équilibre, qu’il crée un nouveau plie dans la croissance métallique. La respiration se synchronise dans la tension palpable. Georg détache ses mains de la sculpture qui vient de naître, Béatrice refait frémir sa musique dans son mélange de nervosité et de stabilité qui lui est si propre et particulier, puis fait descendre et finalement s’arrêter son jeu.
En petits groupes le public visite ensuite l’exposition de photos, et de cette soirée désynchronisée naît une ambiance de fête familiale qui nous enveloppe et nous fait glisser de la galerie au jardin et d’une discussion à l’autre, et de là au bar, et d’une contemplation à la suivante. Je prends plaisir à sentir que l’art, présenté sur des plateaux divers, nous a rassemblé ce soir au lieu de se présenter sur des socles et des piédestaux ou de nous séparer par ses gradins et ses scènes.
Un Festival de Gestes Modestes qui rassemble autour de l’art, et Udo, notre hôte, qui maitrise l’art de rassembler. Une petite pluie en fin de soirée. Au moins les moustiques tant discutés et leur biodiversité aussi exaspérante qu’impressionnante vont être calmes cette nuit…
Mardi, 10. août:
Il est étonnant de sentir à quel point notre vie fonctionne en habitudes, dès qu’on les abandonne. Pendant deux journées nous sommes en déplacement, pour finalement avoir couvert une distance d’environ dix kilomètres. C’est pour le moins inhabituel. C’est du à beaucoup de facteurs, mais c’est surtout parce qu’il n’y pas de nécessité de se presser. Nous profitons des jeux de lumière sur la surface de l’eau, nous admirons les reflets des ponts dans le canal, de leurs arches et leurs reflets dans l’eau se forme un tunnel qui semble aspirer nos pédalos de voyage. On profite des moments d’attente à l’entrée des écluses, on admire les installations techniques, dont la dernière rénovation date d’un siècle, lequel elles ont passé à faire leur travail de manière fiable, nous élevant ou alors nous abaissant dans la terre. Entretemps la manœuvre nous réussit si bien et si tranquillement qu’on a tendance à oublier la semaine dernière et sa constante excitation et à quelle point on manquait des compétences nécessaires au même processus…
L’ambiance a changée, naviguer occupe moins notre attention maintenant, nous avons la place dans notre tête pour ouvrir nos sens et laisser entrer les impression de notre environnement, nous sommes disponible pour les rencontres au bord de l’eau, pour les gens qu’on croise ou les évènements où on joue.
Comme Guten Morgen Eberswalde. Un temps fort de la première semaine. Le soir de la veille j’ai un peu exploré le terrain du château où il a lieu. Je me suis promené dans la lumière tombante qui a mis en évidence la différence entre le devant et son activité de préparation et le derrière des bâtiments, sous la conquête végétale, avec les façades féeriques de l’ancien château de plaisance que c’était. Maintenant des visiteurs envahissent le terrain et je m’étonne de l’ambiance familiale qui s’étend, je commence à comprendre ce public qui se connait et se fait confiance, comme il fait confiance à Udo, qui les invite maintenant pour la 700ème fois et plus à passer la matinée du samedi en compagnie d’un événement culturel, et qui quitte pour la première fois la ville d’Eberswalde pour la commune voisine. C’est un tantinet solennel, et je le sens aussi en moi.,, Je dois ensuite quitter le terrain immédiatement pour rejoindre une autre fête où je joue, ce qui m’empêche de participer à l’échange qui se développe à la suite de nos spectacles et interventions.
Au lieu de ça je découvre une autre coutume locale que je ne connaissait pas de mon enfance lointaine dans l’Allemagne méridionale toute aussi lointaine. Je joue mon spectacle à une fête de première scolarisation. Dans mon cas une fête familiale dans un beau parc, avec des enfants qui débordent d’excitation. Beatrice, avec sa batterie crépitante d’énergie, et moi, avec mes scènes de petit déjeuner de prédateurs, nous réjouissons de l’ambiance qui se détend autour des tables pendant notre spectacle, et de la joie essoufflée des enfants (et leurs parents…)

Grace à l’aide de Martin, un de nos appuis locaux, on arrive à l’heure au train, et je suis triste de dire au revoir à Béatrice, qui quitte notre voyage aujourd’hui, et nous nous échangeons la promesse de réitérer les voyages et les spectacles ensemble, et de ne pas oublier la connexion qui est née de ces quelques jours de vie et de voie commune.
Et je suis aussi à l’heure de retour au château, pour découvrir le deuxième évènement qui y a lieu aujourd’hui. Le marché artisanal a déjà commencé et je trouve un coin un peu à l’abri de la musique et des stands pour redéployer ma table avec ses petites scènes de prédateurs. Je suis prêt à temps, pendant que Etta rassemble du public pour ses spectacles de poésie et patates, derrière la maison. Quand son public me rejoint pour regarder encore deux moments de chasse théâtrale, la nuit commence déjà à tomber. Les enfants me demandent de ne pas rejouer la scène qu’ils ont vu le matin, et je suis content qu’ils soient revenus et qu’ils s’en rappellent, et surtout de pouvoir leur montrer d’autres animaux dans cette ambiance douce et feutrée. Puis, quand la lumière s’éteint pour de bon je suis aussi bien épuisée de cette longue journée de spectacles et de rencontrer. Je profite encore un peu du feu et de l’ambiance et j’arrive enfin à manger un morceau, avant de rapatrier mes affaires aux bateaux et de m’y coucher.
Il y a quelque chose qui touche un nerf. Qui fait vibrer une corde. Je l’observe depuis que je suis ici, le long du canal, sur le marché du quartier ou à la galerie d’art. Maintenant j’ai pu le voir dans le visage des visiteurs du marché artisanal, des deux côtés des étals et des stands, une simplicité dans la rencontre, une curiosité bienveillante qui s’allume rapidement dans les conversations que j’ai ou que j’observe. Je l’entend dans les discussions au bord de l’eau, quand Georg présente les bateaux qu’il a développé et construits, que ça soit en passant, en attendant l’écluse, ou alors de manière organisée, comme lors du Guten Morgen Eberswalde. Et quelque chose dans notre fragilité de déplacement et de présentation fait qu’on y a notre place, notre rôle à jouer.

Et malgré la lenteur de nos déplacements j’ai aujourd’hui, mardi, déjà l’impression de me trouver dans un autre univers, un autre monde. Nous découvrons le jardin de la céramiste Gudrun Sailer, où une émission sera enregistrée aujourd’hui, dans laquelle Georg participe dans le cadre de notre festival. Nos campements sauvages sur des quais ou sous des ponts sont remplacés par une table mise avec soin, sous le regard des arbres et des sculptures qui poussent ici depuis longtemps. Contraste agréable et accueil chaleureux pour notre troupe tranquille et sauvage. Un geste modeste d’un monde à l’autre. Une fête des sens.
Vendredi 13. août:
Je suis trop nerveux… Dans le cadre de notre Festival des Gestes Modestes je joue le Predator, une pièce de théâtre modulable, flexible, qui se transforme, selon le lieu, en petits morceaux, qui peut contenir plus ou moins de paroles, plus ou moins de musique, plus ou moins de langage corporel ou d’éléments de cirque, ou alors, vivre des conversations et les échanges avec le public, qui naissent autour de la pièce à proprement parler. Chaque situation développe son propre rythme, sa propre dynamique, ce qui laisse beaucoup de place à l’improvisation, mais ce qui provoque beaucoup de nervosité chez moi…
Je suis au marché du quartier d’une cité de banlieue, Helle Stunde mit Kultur, et pour la première fois de la jeune histoire de notre festival ambulant j’ai l’occasion de faire un spectacle suivi d’environ une heure, devant un public qui se pose entre les stands de marché, qui de ci et de là grandit de quelques têtes qui regardent un bout pour repartir faire leurs courses ensuite. Pendant que je rassemble mes affaires, bien après la fin du spectacle, deux hommes s’adressent à moi et je comprends qu’un des deux a raconté la pièce à son collègue, qui n’était pas là. Je suis surpris, étant donné que je ne l’avais pas vu, lui non plus. Et je finis par comprendre que tout un groupe de gens a regardé mon spectacle de derrière mon dos, sans que je m’en rendre compte. Ce qui me fait remarquer deux choses. De une, je suis bien trop nerveux avec ce nouveau spectacle, ce qui interfère avec mes perceptions, mes sens sont comme obstrués et trop hâtifs et je suis encore trop occupé par moi-même pour regarder librement autour de moi. Et deuxièmement il y a apparemment tout un groupe qui est resté dans mon dos, qui a regardé une heure de spectacle sans s’approcher, non pas parce qu’ils n’ont pas aime, ce que je peux voir sur le visage du jeune homme et dans sa manière de recompter ce qu’il a vu, mais ils sont restés à distance quand-même.
Il y a de la timidité dans ce comportement, de la prudence, on ne sait jamais quels idées pourraient venir à un de ces saltimbanques avec un public qui s’en approcherait trop.
Mais il y a aussi, et je peux l’entendre dans plein d’échanges autour de cette séance matinale, une impression répandue de ne pas pouvoir être la cible de culture ou d’art. Que la culture ne s’adresse pas à eux, même quand elle est amenée dans leur espace public.
Je suis content d’avoir eu l’occasion de réveiller un brin de curiosité, un des aspects qui m’a tant plu et convaincu dans le travail dans l’espace public, et je suis content de pouvoir leur répondre que ce n’était pas une action unique. Que cette curiosité naissante peut trouver réponse la semaine suivante, car Udo et son équipe vont répéter le format pendant toute la saison. Je ne peux pas offrir cette forme de fiabilité, mais je suis content d’en faire partie.
Pendant quelques beaux jours nous sommes les invités de Gudrun Sailer, nous découvrons son jardin et ses ateliers de céramique et une grand curiosité mutuelle pour nos travaux respectifs. Pour les réflexions qui le fondent, pour nos histoires de vie, qui nous ont amenés à cette recherche d’expression d’états intérieurs. Et malgré les différences évidentes entre le travail dans l’atelier, avec la terre fraîche et humide, et le travail dans la rue, dégoulinant de sueur, nous découvrons des parallèles dans nos biographies et dans nos intentions, et quand elle nous pose devant une grande plaque d’argile pour qu’on en fasse ce qu’on veut je suis content de plonger dans cette matière et de chercher ces mêmes impressions en elle. Je ne sais pas combien de temps s’écoule, mais notre petit groupe est plongé dans ce toucher, douze mains foulent la couche de terre glaise, s’approchent et s’éloignent, et l’impression de fondre nos mouvements en un se reflète dans l’argile, mais aussi dans notre voyage et dans notre travail.

C’est bien de pouvoir apercevoir notre petit groupe de cette manière-là, avant que des nouveaux départs le modifient. Le départ de chez Gudrun, qui a pris part à notre aventure d’une autre manière, et des départs parmi nos voyageurs, et pendant quelques jours nous allons être très peu nombreux, avant que de nouveaux acolytes nous rejoignent. C’est autour de ça que mes pensées évoluent, pendant que je regarde le ciel nocturne de ce mois d’août, riche en étoiles filantes qui illuminent le ciel. Ephémères compagnons de route, et j’avoue avoir une tendance à la nostalgie, la mélancolie et au pathos, mais elle me plaisent tant que je ne suis pas triste d’un tant soit peu me comparer et me reconnaître en elles.
Tout ne dure qu’un temps.
Puis ça change.
Je m’en réjouis.
Dimanche 15. août:
La chaise bouge. Non, c’est pire, ses pieds s’enfoncent dans le sol. D’une manière plutôt imprévisible. Ceci pourrait rapidement devenir un problème car je suis debout dessus, un microphone à la main, et h’essaie malgré tout de chanter de manière au moins convenable. Je suis dans le verger pittoresque du Camping Triangel à Niederfinow et devant moi, dans l’obscurité tombante il y a pas mal de spectateurs, je suis au milieu du spectacle, et malgré tout cela je pense aux parallèles entre le sol sablonneux de la région, et notre tournée. Oui, ça tient. La plupart du temps. Les petits problèmes subites sont à chaque fois surprenant, même s’ils apparaissent là où la charge est la plus grande, bien évidemment. On perd un instant l’équilibre, mais pour l’instant on a réussi à le récupérer à temps à chaque occasion. Notre sol et notre soutien, c’est Udo et son équipe, et ils égalisent les à coups. Les rencontres avec les gens le long du canal sont chaleureuses et relâchés. On aurait presque envie de prendre racine…
Ailleurs sous les arbres, il y a aussi Sara Hasenbrinck qui fait des allers-retours et qui joue son théâtre close-up pour des touts petits groupes de campeurs, cet après-midi Marion Noëlle a proposé une heure de Feldenkrais, Inka Arlt est arrivée et a ramené son Glückstück, et moi je ressors quelques petits prédateurs de leurs tiroirs. Après ce petit moment passé en petit comité de nouveaux collègues nous ont rejoint et nous redécouvrons en cours de route quels formats et quelles propositions notre festival recomposé peut faire maintenant.

De nouveau j’ai l’impression de toucher à quelque chose. L’ambiance est magique et Sibil, de l’équipe du camping, exprime dans ses quelques mots adressés au public après à quel point elles avaient envie de proposer des évènements culturels, et que maintenant ça y arrive de cette manière, par le canal qui longe leur terrain la rends visiblement heureuse. Je me souviens d’une discussion avec le directeur de mon école de cirque où pour la première fois j’ai formulé le désir d’amener mon
travail à des endroits qui ne sont pas régulièrement visités par des offres de culture ou de spectacle. L’envie de créer et de définir à chaque fois le cadre dans lequel l’échange avec le public se fera.
Des cadres qui ne pourraient être plus différents les uns des autres, et des surprises là où on ne s’y attend pas. Après les échanges faciles au marché de la cité, après les rencontres spontanées et ouvertes le long du canal d’où se sont déroulés des milliers de conversations légères et spontanées, nous mou étonnons des regards en coins et de la timidité de la rencontre. Je cherche l’explication dans la confiance des autochtones, qui nous découvrent devant chez eux et qui laissent libre cours à leur curiosité, contrairement aux citadins qui sont ici loin de chez eux, et qui viennent peut-être d’un milieu où un regard franc et direct est perçu comme une intrusion plutôt que d’une sympathie.
Tant mieux alors de pouvoir établir le contact par notre travail, et tant mieux aussi de pouvoir rester un peu, nous sommes content de profiter encore un peu du lieu enchanté, et Marion a dû promettre une autre heure de Feldenkrais dans le verger.
Pendant ce temps je profite du paysage ainsi que des animaux qui l’habitent. Tout s’est modifié de manière surprenante, vu la petite distance qu’on a parcourue. Au petit matin j’écoute le concert des grues qui dansent dans les prés marécageux et qui de temps en temps planent au dessus de nos têtes. En amont nous avons croisé des martin-pêcheurs ainsi que l’un ou l’autre castor, tandis qu’ici nous sommes entourés de grenouilles qui coassent le soir dans l’herbe de la berge. Tout à l’horizon je peux toujours apercevoir la grande grue industrielle à côté de laquelle on a mis les bateaux dans l’eau. La nuit on voit clignoter ses feux de position, et alors que le début de notre voyage paraît loin dans le temps et dans l’espace et que je me rends compte à quel point nous avons changé, le monde autour de nous paraît changé, nous sommes toujours en vue de notre point de départ.
Un tour du monde, un tour de mondes, en un jet de pierre.
Mardi 17. août, midi:
Le vent de l’ouest secoue les bateaux et les toiles claquent dans l’air, je n’ai pas de fenêtre mais la tente est à tour de rôle plongée dans la pénombre ou éclairée au grand jour. Sous le bateau le canal fait des petits bruits et parfois ça claque et gicle, quand mon bateau est secoué dans ses amarres.
Un jour de pause pour ainsi dire. Il n’a y pas grand chose à faire ou à régler, et tant mieux, car hier nous nous sommes un peu épuisés. Nous sommes allés à l’ascenseur de bateaux à Niederfinow, et cette excursion était plus fatiguant qu’on ne l’avait cru. On est descendu le reste du canal avec trois bateaux, encore une nouvelle expérience, car sur les derniers kilomètres, le canal traverse la lande en ligne droite et le vent soutenu nous a mis en difficulté. Une pièce de ma propulsion s’est cassée et la réparation provisoire claque contre la coque du bateau à chaque coup et fait aller dans le vide une part de l’effort fourni. L’eau est remplie d’algues et de plantes aquatiques, qui sont jolies, à se balancer dans le courant, mais qui aiment aussi se prendre dans mes pales et freiner la course.
Arrivé à le dernière écluse il est clair que le temps ne va pas suffire à faire un tour dans l’ascenseur immense. Et quand on bifurque de notre petit Finowkanal dans la grande route fluviale et qu’on doit contrer vents et courants pour monter jusqu’au monstre d’acier je perçois pour la première fois à quel point nos bateaux sont de minuscules coquillages sur une étendue d’eau, et j’ai déjà du mal à atteindre l’embarcadère qui marque la file d’attente pour rentrer dans le ventre de la machine. Il y a déjà quelques bateaux de loisirs qui font la queue et qui sont visiblement pas enchantés de nous voir arriver. La décision est vite prise, le risque d’arriver en retard pour se faire écluser sur le canal de Finow nous enlève le dernier doute. Nous faisons demi-tour et passons l’écluse, après quoi nous avons le loisir de faire une halte et de visiter l’ascenseur à pied. Je contemple les contrepoids massifs comme des immeubles et une étrange sensation m’envahit. La sensation qu’à la construction d’un superstructure pareille il y a là une conviction de taille maximale, que le gigantisme a été poussé au point que les besoins futur sont déjà couverts par l’oeuvre du présent. La quantité d’énergie créatrice qui est nécessaire à le pure conception de la machine qui littéralement déplace des montagnes, est palpable dans l’air autour. Et me voilà qui, à travers les câbles bien ordonnés de la structure, aperçoit les pieds en béton de sa remplaçante, encore plus gigantesque. J’en viens à penser aux records du monde que la fille de Georg regarde sur internet et qui sont présentés avec la motion, dépassé depuis…

Le retour à notre embarcadère est encore plus fatiguant et nous sommes soulagés d’être arrivés, d’avoir le temps d’amarrer les bateaux et de déployer les tentes avant d’y disparaître pour se mettre à l’abri du vent et de la pluie. Ce n’est que quand c’est moins une qu’on se rend compte d’avoir de la chance avec le temps, quand on n’est qu’un petit peu humide, sous une tente qui nous chante la bande son d’un temps qu’on préfère dehors plutôt que dedans.
Déjà les journées chaudes et ensoleillées au camping disparaissent dans les tiroirs de la mémoire, joliment empaquetés dans le départ coloré et festif, où des dizaines de vacanciers et un accordéon se sont rassemblés au bord de l’eau. Contraste accentué et bienvenu avec notre arrivée, et le geste me touche profondément. Et c’est à l’heure que nous avons largué les amarres et que nous sommes partis en direction de la prochaine écluse. Que cette écluse se trouve à une distance de 50 mètres et que cela nous force à un arrêt et une longue attente rajoute une touche plutôt imposante d’absurde et de comique à cette cérémonie presque parfaite.
Maintenant nos bateaux sont amarrés côte à côte près du village de Niederfinow, et la lumière grise de la soirée pluvieuse fait naître une impression de petit hameau, une impression de ressemblance avec le village en face. Discret et modeste entre les saules de la berge. Une image qui fait naître en moi le sentiment d’être au bon endroit, faire partie de cette communauté de la berge.
Bien sûr, ce sentiment vient aussi de le rencontre avec nos prochains hôtes. Nous avons déjà vécu une petite aventure ensemble, alors que nous avons érigé une embarcadère provisoire près de leur terrain. Nous nous sommes salis et mouillés ensemble et n’avons pas réussi à éviter la vase du fond, où j’ai récemment fait ma première vraie rencontre avec une sangsue. Encore un prédateur, sui sait, peut-être un jour un numéro de mon spectacle, qui s’enrichira des expériences vécues pendant notre voyage sur le canal de Finow.
Je sens bien que la dernière semaine a commencé et qu’elle amène son ambience bien à elle. Son défi, de se concentrer sur le présent tout en ayant conscience du bientôt, et de l’après. On ne peut pas rentrer deux fois dans la même rivière. Mais on peut s’en réjouir à chaque coup.
samedi 21. août:
Il y a quelques jours je voulais écrire de nouveau dans ce journal de bord. J’ai pris le temps et j’ai trouvé l’endroit, et puis j’y étais et je ne savais pas très bien quoi écrire. C’était la première fois que ça m’était arrivé, et j’ai mis un bout de temps avant de comprendre ce qui me bloquait. J’avais peur de me répéter. J’avais pour la première fois la sensation que les impressions et les situations que j’avais vécu et que j’avais envie d’écrire ne m’étaient pas arrivés pour la première fois pendant cette tournée. Tant mieux, je pensais, c’est plutôt cohérent, la fin du périple s’approche de toute façon.
Mais tout est si différent. Bien sûr, une journée eut maintenant ressembler à une de celles du début de notre voyage. Comment ça pourrait en être autrement, depuis trois semaines maintenant je suis occupé à naviguer et à jouer mon spectacle, heureusement qu’il y a des parallèles et des ressemblances, ça veut tout d’abord dire que mes expériences si récemment acquises peuvent déjà me servir.

Mais au même temps rien n’est resté pareil, il n’y a pas de répétition, l’expérience est nouvelle. Naviguer n’est plus pareil. J’ai presque du mal à retrouver le respect que j’éprouvais les premières fois face aux bateaux et au canal. Je ne suis plus dépassé par le caractère approximatif du déplacement de mon bateau. Est-ce que je le conduis tellement mieux? Ou alors est-ce que je me suis simplement habitué qu’il se comporte bien comme il se comporte. Est-ce que j’ai appris à estimer les manoeuvres nécessaires pour le conduire contre le courant de telle sorte que ce même courant le pousse en douceur contre le quai d’amarrage, dans la position voulue qui plus est, rien qu’en attachant une seule cordelette et en laissant le bateau pivoter autour? Ou alors est-ce que je me suis simplement habitué que de toute façon, rien ne marche jamais exactement comme j’avais prévu et j’ai appris à faire confiance à la souplesse et la douceur de l’eau et des objets qu’elle transporte? Je ne le sais pas. Mais vivre et dormir sur ces pédalos de voyage me paraît simple et juste. Je n’ai plus besoin de réfléchir quand j’assemble la propulsion, je n’ai plus besoin de visualiser la tente avant de la dérouler autour de sa structure et de l’aménager pour la nuit.
Est-ce que cela vaut moins de paroles? Moins de lignes et de réflexions dans ce journal de bord? Je ne sais pas. Mais l’impression est forte. L’impression d’avoir fait du chemin. Pas en kilomètres. Avoir parcouru un bout de vie.
Georg et moi avons besoin d’aller aux voitures, que nous avons laissé à l’endroit de la première mise à l’eau. A vélo nous arrivons dans l’allée qui nous y amène, et simultanément nous retenons un petit peu notre souffle. Trop forte est la contradiction entre les quelques semaines écoulés depuis le début de notre voyage, l’impression du temps qui a filé à une vitesse folle, et l’impression d’une éternité qui est entre nous et la dernière fois qu’on est pass par ici. Comme ci cet endroit n’était qu’un souvenir lointain.
Difficile à se faire une idée claire. Beaucoup plus facile, l’arrivée à la fête de quartier que nos hôtes organisent à l’occasion de notre passage, et où on va jouer nos spectacles. Nous arrivons dans le jardin, les enfants sont gentils et curieux, les adultes sont aussi occupés que nous pour préparer cette soirée spontanée que quelques familles du voisinage étendu vont passer ensemble.
En quelques minutes nous avons trouvés nos marques et je ne suis pas étonné de sentir la simplicité de notre intégration dans l’occupation omniprésente. Quand les premiers invités arrivent nous font déjà partie de la soirée et du jardin dans lequel on s’et trouvé des coins pour mettre en place nos scènes et nos spectacles. Même Etta, qui revient à l’instant après s’être absentée une semaine de notre tournée, trouve immédiatement sa place, et se sent, sans temps d’adaptation, aussi intégrée et bienvenue que les autres.

Après leur souper les invités et leurs hôtes se promènent donc dans le jardin en faisant des haltes là où on les accueille devant nos programmes. Je suis touché de me sentir tant chez moi dans le jardin et dans la compagnie de gens que je ne connais ni d’Eve ni d’Adam et de recevoir le cadeau de leur attention, et encore plus quand un d’eux s’adresse à tout le monde à la fin pour exprimer sa joie à lui, son impression d’avoir reçu lui aussi, un cadeau.
Seulement deux jours après je découvre un autre jardin, et une autre occasion d’y déployer mes prédateurs. Un weekend de stage de cirque commence avec une quarantaine d’enfants et leurs encadrants, et je replonge dans un nouveau monde, et je replonge dans les yeux de nouveaux gens avec le petit feu d’artifice de mon théâtre. Et si j’en parle tant, et que je le remarque tant, c’est que je me réjouis tant de découvrir cette nouvelle pièce, de découvrir les possibilités qu’elle offre, sa capacité d’adaptation à des situations et des ambiances. Dans les yeux de ces enfants, dans ce jardin sombre, où la nuit a fait naître des ombres profonds, c’est une autre oeuvre qui ressort que celle qui a joué sur le marché artisanal, en pleine lumière du jour. Des ambiances que je ne pourrais pas contrôler, que je ne pourrais pas créer à ma guise, mais que je peux embrasser, dans lesquelles je peux plonger et dans lesquelles mon spectacle finit par se former.

Et encore une fois le soleil se couche sur un beau jardin dans lequel je suis en visite, de nouveau je sens la générosité de ce projet qui me mets en lien avec les gens à travers mon art et qui fait que les portes s’ouvrent. Et c’est avec plaisir que j’entre.
mercredi 25. août:
A Finow, nous bifurquons du canal pour entrer dans le petit bassin avec les embarcadères et la rampe de mise à eau. Pendant que nous passons sous le pont du diable qui surveille la vie dans l’eau et le long de la rive de ses yeux d’acier, les premières gouttes de pluie commencent à tomber et font scintiller leurs impacts sur la surface immobile de l’eau. Involontairement Georg et moi nous mettons à rire de soulagement, nos bateaux glissent sous les branches protectrices des aulnes, et quand deux minutes après la pluie se met à tomber pour de bon nos bateaux sont à l’abri sous leurs toiles de tente. Et en effet, la pression qui se relâche est énorme, car nous avons passé les dernières 24 heures à remonter tous ces kilomètres de canal que nous avons parcourus pendant les dernières trois semaines.
La pluie nous avait été annoncé pendant toute la journée et que malgré tout nous avons réussi à atteindre ce havre de sécurité sans être mouillé. Car nous avons franchi, malgré les derniers problèmes techniques, malgré nos doutes, malgré qu’on soit pas assez nombreux, malgré notre fatigue, cette dernière grande étape. Toute notre tournée, tous ces jours et toutes ces étapes, nous avons pu les revoir et un peu les revivre en repassant aux différents endroits pendant ce dernier voyage.
C’est après un dernier Guten Morgen Eberswalde que nous nous sommes mis en route, un dernier rendez-vous tous ensemble, au Brauhaus de Barnim, une brasserie artisanale à côté d’une vieille gare, près du canal. Udo et son équipe, Etta, Inka, Georg et moi, et finalement beaucoup de public. Parmi eux pas mal de public que nous avons déjà croisé pendant ces trois semaines, des gens qui reviennent pour nous redonner leur attention et nous prêter leurs regards. Un petit voyage en soi, cet endroit. C’est des mondes différents à quelques pas de distance, entre les rails rectilignes avec la vieille rampe de chargement de chars d’assaut, et la brasserie en face avec sa cour et ses jardins intimes.

Directement à la suite de l’évènement nous devons partir. Nous devons rejoindre les bateaux. Et nous avons du mal à nous détacher de l’échange qui s’installe, qui est fondé sur de plus en plus d’expérience commune entre nous et notre public. Il devient difficile de déterminer qui est le visiteur et qui le visité.
Il y a des gens qui viennent au débarcadère avec nous, et c’est une chance, car il y en a qui viennent avec nous pour essayer de nous aider à remonter le faible courant. Pour nous aider à passer sous le pont-levis qui est un poil trop as pour nos bateaux et qui refuse de s’ouvrir au moment où on pensât qu’elle allait le faire. Et simplement pour nous faire des grands signes d’adieu.
On a été reçu. Un peu invité à entrer. On a eu la possibilité d’arriver un peu. On a essayé d’ouvrir grand nos yeux et de nous laisser pénétrer pas notre environnement. On s’est laissé aspirer. On a saisi l’occasion pour montrer quelques petites choses. Pour se montrer. Ce qu’on fait, et comment on vit. Notre locomotion, nos maisons précaires, nos cuisines en ont fait partie, autant que nos spectacle et notre art, autant que nos biographies, qui a fait de nous ce que nous sommes là, maintenant. Et nous avons montré autre chose encore. Cela est évident quand nous constatons que tous ceux qui sont avec nous accompagne pendant ce bout de trajet, tous des gens qui habitent le long du canal, n’ont jamais navigué dans ses eaux. – Fallait que vous veniez, des quatre coins d’Europe, pour que je passe une écluse pour la première fois… – Ah oui, c’est vrai. Un aspect du projet était de vous faire rencontrer votre environnement d’une nouvelle manière. On avait envie que vous puissiez découvrir votre monde d’un nouveau point de vue. On avait envie d’essayer au moins, … Parfois on atteint des objectifs sans s’en rendre compte. Sans avoir su à quoi cela allait ressembler. C’est peut-être ça alors une aventure.

Quand le soir d’après il ne reste plus de bateau dans l’eau, car à quatre reprises nous avons plongé la remorque comme une louche, car nous avons démonté ce qui nous a servi d’abri, d’atelier et de véhicule pendant trois semaines, car nous avons rangé tout ce que nous avions déplié, quand alors le soleil se couche une dernière fois, et que dans sa lumière orangée le pont du diable nous fait un dernier clin d’oeuil, je constate que notre périple me rappelle beaucoup les chapiteaux et les festivals que j’ai démonté, qui laissent derrière eux une place vide, là où l’instant d’avant il y avait un petit théâtre, un petit marché, une petite ville. C’est une sensation de légèreté, enjouée. Faire naître un petit monde dans lequel il y a assez de places pour se faire rencontrer des gens, où on peut apprendre à se connaître et grandir grâce aux expériences communes. La surface de l’eau se ride dans la brise légère et je pince les yeux, éblouis par la lumière. Mais derrière moi, sur les briques rouges des anciennes usines, sur les feuilles des vieux arbres, les projections et reflétions des petites vagues dansent et leur ballet n’éblouit pas. Il ne fait aucun bruit, il ne s’impose pas. Des traces d’un mouvement lisible sur toutes les surfaces.
Peut-être notre passage laissera des traces, lisibles bien après notre départ, légers comme la brise sur le canal. Peut-être qu’on n’est même pas partis… Je tangue… Avec plaisir… Merci,
Julian
Avec la collaboration de Udo Muszynski, son équipe et d’innombrables personnes, paires de mains, de pieds, d’yeux et d’oreilles. Merci. Ont participé au voyage Georg Traber, Julian Bellini, Etta Streicher, Benoît et Myrtille, Béatrice Graf, Inka Arlt, Sara Hasenbrink und Marion Noëlle ainsi que Lilo, Lilou, Pimprenelle, Ole und Alfons
http://www.traberproduktion.ch
lakraan.blogspot.com
ettastreicher.wordpress.com
cievoilalenchantement.wordpress.com
AVEC LA COLABORATION DE
Familiengarten Eberswalde, Barnimer Brauhaus GbR, Atelier Gudrun Sailer, Keramik Atelier Andrea Forchner & Stefan Laub
AVEC LE SOUTIEN DE

